Des grands penseurs ayant marqué l’histoire contemporaine et les mutations du monde aux écrivains et écrivaines plus ancrés dans la dimension locale voire intimiste de l’écrit.
Outre la personnalité exceptionnelle d’Aimé Césaire, Fort-de-France peut s’enorgueillir d’avoir vu naître, d’avoir vu s’exprimer ou d’avoir vu passé une lignée exceptionnelle de poètes et d’écrivains qu’elle a, de diverses manières, inspiré …
Considéré comme un précurseur de la Négritude, d’origine guyanaise, René Maran (1887-1960) obtint le prix Goncourt pour son roman Batouala en 1921, tandis qu’il exerçait ses fonctions de haut fonctionnaire en Afrique.
Par son roman et ses écrits, René Maran, en dénonçant les méfaits du colonialisme, traça la voie pour Aimé Césaire, père (co-fondateur) de la négritude avec le Sénégalais Léopold Sédar Senghor ainsi que le Guyanais Léon Gontran Damas.
Fort-de-France vit également passer Lafcadio Hearn (1850-1904), journaliste, écrivain, traducteur mais également peintre. Lafcadio Hearn fut un personnage emblématique dont l’histoire s’est confondue (certes, durant une courte période) avec celle de la ville de Fort-de-France. A la fois anglo-saxon et hellénique, il séjourna comme correspondant à la Martinique de 1888 à 1890. Il y rédigea plusieurs ouvrages (Aux vents caraïbes, Esquisses martiniquaises ou encore Youma) et effectua de nombreuses descriptions qui sont une mine d’informations sur la vie à Fort-de-France à la fin du XIXe siècle.
Fort-de-France compte d’autres hommes et femmes de lettres d’exception tels que Paulette Nardal (1896-1985), qui fut non seulement une journaliste et une femme de lettres mais aussi une musicienne. Paulette Nardal fonda en 1931 à Paris la Revue du Monde Noir, revue bilingue dans laquelle des écrivains d’ethnies indo-européennes purent également s’exprimer.
Aimé Césaire (1913-2008), chantre de la négritude et modèle humaniste universel, a brillé par son appel à la tolérance et sa proclamation de l’égalité en capacités de tous les peuples et de toutes les ethnies, à une époque où le monde était encore plongé dans une hiérarchisation raciale et raciste, qui prétendait être justifiée par les relents d’une certaine science héritée du XIXe siècle.
Ce sont là quelques-uns des grands messages véhiculés par le courant de la négritude dont Césaire est, avec le Sénégalais Léopold Sédar Senghor (1906-2001) et le Guyanais Léon Gontran Damas (1912-1978), l’un des créateurs.
L’œuvre littéraire de Césaire, Œuvre majuscule, se compose de quatorze œuvres dont les plus illustres sont sans nul doute la première, Cahier d’un retour au pays natal (paru pour la 1ère fois en 1939) ou encore le fameux Discours sur le colonialisme (1955).
Ce que la population foyalaise a retenu comme legs, c’est pour les uns sa pensée humaniste et pour d’autres tout simplement la concrétisation de cette pensée dans les actes : « Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche, ma voix, la liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir »
Cahier d’un retour au pays natal
A travers ses tragédies et ses essais, Césaire pose un regard critique sur les espoirs déçus et la corruption du genre humain par l’exercice du pouvoir (cf. La tragédie du Roi Christophe, en 1963), tout en rendant hommage à plusieurs héros de la liberté et de l’intégrité. C’est dans cet esprit que Césaire salue la mémoire du défunt Patrice Lumumba à travers Une saison au Congo, celle des combattants de la liberté dans Et les chiens se taisaient ou encore le martyr de Delgrès et de ses compagnons en Guadeloupe en 1802.
Dans son œuvre, Césaire décrit son pays, son peuple et sa ville, Fort-de-France, « cette ville qu’il prophétise belle… ».
Césaire est aussi un précurseur car les militants pour l’égalité des droits civiques aux Etats-Unis, au cours des années 1960, s’inspireront d’une de ses citations de la littérature judéo-chrétienne (en l’occurrence le Cantique des cantiques de Salomon) et choisiront les mêmes références en guise de slogan. En effet, le fameux « black is beautiful » tire son origine des mêmes vers bibliques repris par Césaire.
De la génération d’Aimé Césaire, l’autre illustre penseur et politique de Fort-de-France jouissant d’une immense renommée, en particulier dans les anciens pays colonisés, d’Afrique, de la Caraïbe et des Amériques, est Frantz Fanon (1925-1961).
Psychiatre de profession, militant de la cause émancipatrice, notamment de celle de l’Algérie (il rallia le FLN), Fanon se fera écrivain à travers des ouvrages dont les plus célèbres sont « Peaux noires, masques blancs » et « Les damnés de la terre ».
Les positions de Fanon contre l’acculturation et le dénigrement, y compris l’autodénigrement, et en faveur de l’égalité du genre humain sont un patrimoine précieux dont la pensée fait aujourd’hui l’unanimité.
A Fort-de-France, une rue porte son nom dans le quartier de Bellevue.
« Je ne veux pas chanter le passé aux dépens de mon présent et de mon avenir.
Je ne veux pas être esclave de l’esclavage.
Je ne veux qu’une chose : Que cesse à jamais l’asservissement de l’homme par l’homme, c'est-à-dire de moi par un autre.
Qu’il me soit permis de découvrir et de vouloir l’homme où qu’il se trouve »
Frantz Fanon
Au début des années 1990 est apparu, à Fort-de-France, un nouveau courant littéraire, celui dit de la créolité. Ce courant compte plusieurs représentants foyalais dont les plus célèbres sont Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant.
Patrick Chamoiseau, prix Goncourt en 1992 avec son roman Texaco, décrit la naissance de ce quartier foyalais en insistant dans l’ensemble de ses œuvres sur le creuset que constituent les Antilles en général et Fort-de-France en particulier et livre dans plusieurs de ses romans, une vision truculente de la ville et de la société foyalaises.
Son dernier ouvrage, « la matière de l’absence » (Seuil, 2016), évoque les profondeurs de l’âme antillaise et la trajectoire d’un peuple depuis les catastrophe du passage et de l’habitation à partir d’une circonstance intime, le décès de sa mère.
Patrick Chamoiseau a grandit à la rue Arago et demeure attaché à la Ville.
Il a beaucoup collaboré avec l’écrivain et universitaire martiniquais Edouard Glissant (1928-2011), célèbre pour « le Discrours Antillais » et « le Traité du Tout-Monde ». Son œuvre est prolongée par un Fondation éponyme, la Fondation du « Tout-Monde ».
Bibliographie en rapport avec Fort-de-France …
- Chronique des sept misères
- Antan d’enfance, 1990 (Prix carbet de la Caraïbe, 1993)Solibo magnifique
- Texaco, 1992, Prix Goncourt
- Chemin d’école, 1994
- Une enfance créole 1 (antan d’enfance), 1996
- Une enfance créole 2 (chemin d’école), 1996
- Une enfance créole 3 (à bout d’enfance), 1996
- Cases des iles, 2001
- Livret des villes, 2002
On ne peut enfin évoquer les quartiers de Fort-de-France sans faire référence à toute une partie de l’œuvre de Raphaël Confiant … Chroniqueur acide de l’histoire contemporaine de la Martinique, depuis Antan Robè aux jours contemporains, Confiant dépeint les communautés martiniquaises avec les quartiers de Fort-de-France et les communes de la Martinique en pointant les apports respectifs (et les rapports) de chaque culture et de chaque ethnie composant la société et la culture créole de l’île.
Parmi ses évocations de Fort-de-France :
- L’allée des Soupirs, Grasset
- Eau de Café, Grasset
- Le Nègre et l’Amiral
- La Vierge du Grand retour
- Rue des Syriens, Mercure de France
Tradition littéraire
Cette grande et longue tradition littéraire se perpétue encore aujourd’hui avec d’autres auteurs martiniquais ou foyalais tels que le très populaire Tony Delsham (un des auteurs antillais les plus lus aux Antilles) pour ne citer que ce dernier.
Littérature féminine
Une poétique et une littérature de femmes se sont également épanouies à Fort-de-France. Citons notamment :
- Simone Henry-Valmore avec :
- « L’autre Bord, Vents des iles, 1998 »
- « Aimé Césaire, le Nègre inconsolé », avec Roger Toumson 2002
- Nicole Cage Florentiny avec :
- « L’Espagnole » (Edition Monde Noir, 2002)
- Widad Amra avec :
- « Regards d’errance, Drive poétique »
- « Le Souffle du Pays » – Nabd El Jazirah (L’Harmattan, 2011)
- Sandrine Andrivon-Milton avec :
- « Fort-de-France en 200 questions-réponses » (Editions Orphie, 2014)
Littérature urbaine
Un autre genre littéraire, plus ancré dans la sociologie et la proximité de la Ville, traite de la mémoire des quartiers de Fort-de-France et les chroniques du quotidien. On peut évoquer ici :
- Jean-Pierre Arsaye avec :
- « Mémoires d’Au-Béro » (Ibis Rouge Editions)
- Gabriel Henri avec :
- « la Marmaille du Bas-Calvaire » (Ibis Rouge Editions, 2001)
- Jean-Louis Gault avec :
- « La rivière du Pont de Chaînes » (L’harmattan, 2003)
- Eric Hersilie-Héloïse avec :
- « D’une rive à l’autre » (Ibis Rouge Editions, 2004)
Enfin, un nouveau genre littéraire, ancré dans le réel urbain des quartiers, émerge ans le sillage de la créolité, avec comme figure de proue un jeune 2professeur de lettres, Alfred Alexandre, dont le premier ouvrage « Bord de Canal ( Editions Dapper, 2004) suivi par « Les villes assassines » (Ecriture, 2011) décrivent les ombres du réel urbain et les marges de la ville …
Alfred Alexandre a aussi publié un essai, « Aimé Césaire, la part intime » (Mémoire d’encrier, 2014).