Carnaval

 

HISTOIRE

De Saint-Pierre à Fort-de-France, un Carnaval en perpétuelle évolution 

La coutume carnavalesque a été amenée en Martinique par les colons Français et leurs congénères  qui étaient les premiers à recourir à ces pratiques. 

Elle fit ses premiers pas à Saint-Pierre chez le Gouverneur Du Parquet, qui recevait le mardi Gras  au château de la Montagne. Le chemin pour y parvenir, montait tout droit de l’église du Fort à sa  résidence en passant à travers l’habitation. Les invités masqués, pressés par leur hôte d’arborer le  costume traditionnel de leur province déambulaient fièrement devant les esclaves qui les suivaient  parfois. 

Au fil du temps, ces derniers se sont mis à leur tour à prendre l’habitude de s’amuser aux cases et  à danser au son du tambour, le carnaval était alors un moment de liberté, autorisé par le maître,  exclusivement sur l’habitation. L’esclave, mimait par ses accoutrements travestis, les divertissements  costumés de ses asservisseurs. Les manifestations festives de Nègres furent toujours interdites par  les gouverneurs en dehors des propriétés privées.  

Dans l’univers des colons, le carnaval est un moment où le masque, l’exposition du caché et des  expressions corporelles hors du commun, sont possibles. 

Ainsi, cet intervalle consenti dans l’imposition calendaire chrétien pour mieux préparer l’abstinence  du carême, a très vite permis aux esclaves de laisser libre cours aux désirs antagonistes refoulés et  nourris à l’encontre de leurs maîtres. 

Du coup, leurs croyances interdites y trouvaient un canal d’expression dissimulée permettant la  réappropriation des divinités, des spiritualités, de la musique et des masques appartenant à l’Afrique des origines. La trêve du carnaval était  donc le moyen d’un retour vers une dimension vraie de leur âme, choses dont les esclaves avaient besoin pour survivre et résister à l’ordre destructeur du système esclavagiste. 

Mais il semble que les Africains transportés aux Antilles furent initiés au carnaval européen bien plus tôt, sur les navires négriers eux mêmes.  

En effet, il y avait un rite obligatoire lors de toute traversée: fêter le passage de la ligne et baptiser tous  ceux qui franchissaient le tropique pour la première fois.  

Cela donnait lieu à des manifestations type carnavalesque, avec déguisements (l’un des matelots  se travestissaient en Neptune pour présider la cérémonie, les autres en personnages divers).  

Ce rituel intéressait en premier lieu les voyageurs de qualité. Ces manifestations  avaient aussi pour but de faire les esclaves faire de l’exercice pour limiter les décès par mauvaise hygiène.  

Une pratique pour le moins paradoxale, celle de faire les victimes de la traite participer à ces réjouissances. 

Quand vient l’abolition de l’esclavage en 1848, la société se structure sur les fondements de la liberté et le carnaval émerge comme entité visible de l’expression pluriculturelle de cette société coloniale. En  somme, le carnaval a une fonction sociale extrême. Né en Europe, il découle de ce que l’on appelle des rites de passages annonçant et symbolisant la transition d’une période à l’autre.  

C’est aussi une fête païenne dans un calendrier chrétien qui organise la vie d’une certaine manière. On y inscrit du profane dans la logique du sacré. 

Les sociétés africaines sont elles aussi inscrites dans ce rite de passage. Ce sont essentiellement les descendants d’esclaves qui vont porter le carnaval mais avec des modifications qui donneront sa particularité, sa force et son originalité : 

  • La puissance et la symbolique des masques 
  • La puissance des couleurs

Existant dès la fin du 17ème siècle, le carnaval de Saint-Pierre qui atteint sa renommée dans le dernier  quart du 19ème siècle voit poindre les traces de cette expression culturelle, sociale et vivante lorsque  les masses populaires, libérées du joug de l’esclavage ont pu en toute impunité jouir et participer  pleinement à ce grand moment de liesse et de défoulement. 

En 1898, une décision fixe les congés des jours gras. Cette disposition se retrouvait les années  suivantes jusqu’en 1907. Principale fête, le carnaval était avant tout l’affaire du peuple. La liesse  populaire, la diversité et l’étrangeté des costumes, la singularité des groupes à pieds ou juchés sur des  tombereaux tirés par un âne enrubanné et suivis par une foule bigarrée et masquée, accompagnant de ses chants leurs créations musicales, en témoignent. 

Il y avait aussi les cavalcades du Mardi Gras suivis de chars et parade de groupes à pied. C’était, disait-on, le carnaval des riches offrant aux Pierrotins un vrai spectacle, césure entre les déferlements populaires. 

A la fin de la journée, « un grand bal » réunissait toute la population dans la salle aménagée pour la circonstance pour célébrer sa joie de vivre. Une preuve de son originalité était bien, que l’on accourait de tout l’archipel des caraïbes et des Amériques pour y assister. 

Le carnaval savait à cet égard inciter le peuple à trouver en lui les capacités de création artistiques et des trésors d’imagination inouïs en dépit de ses faibles possibilités financières. 

Toutes les barrières sociales, tous les interdits ordinaires vont être solennellement  levés pour un temps. Mais c’est par la chanson que les Pierrotins s’expriment le mieux.  Les chansons de Saint-Pierre pourraient être classées en deux grandes catégories : Les chansons  politiques et les chansons satiriques et coquines.

Les chansons politiques constituaient quasiment une arme que s’était forgée le peuple pour s’exprimer en dehors des urnes.

Les chansons satiriqueselles, relatent la vie quotidienne de Saint-Pierre.  

On peut dire que le Pierrotin badinait, tournait en dérision, et réglait ses comptes en chanson. Et ce, avec une franche gaieté, quelques perfidies mordantes et sans la moindre retenue que lui permettait l’esprit du carnaval. 

Ces chansons sarcastiques regorgeant de malices étaient composées par Madame et Monsieur tout le monde. Beaucoup se sont perpétuées sur plusieurs générations voire jusqu’à nous grâce à leurs mélodies et leurs musiques tout simplement uniques.  

Nous pouvons dire que le carnaval de Saint-Pierre était l’aboutissement d’une évolution historique au sein d’une réalité coloniale marquée par les fortes empreintes de l’Eglise catholique. Mais, le 8 mai 1902 la terrible éruption de la montagne Pelée qui détruisit la Ville de Saint-Pierre sous sa nuée ardente, marqua l’arrêt momentané du carnaval.


Le Carnaval de Saint-Pierre renaît de ces cendres

Une fois le deuil respecté, les martiniquais repensèrent à fêter le carnaval. 

C’est en 1906 à Fort-de-France, désormais Capitale de la Martinique, que renaissent les festivités  carnavalesques qui envahiront les rues et la Savane déterminant ainsi une ère nouvelle pour le  carnaval de la Martinique. 

Celui-ci, se démarque des autres carnavals par son calendrier particulier et par le nombre de jours de  liesse qui fut un temps le plus élevé du monde. Son originalité s’exprime à travers son déroulement,  son organisation, ses codes, ses thématiques, ses masques et ses travestis.

Officiellement, le carnaval  débute de l’Epiphanie pour se poursuivre jusqu’au mercredi des cendres à minuit. Rallonger le carnaval  d’une journée est un tour de force des Martiniquais qui daterait au moins du 18e siècle.  

Ce jour est pris sur le carême, en dépit de l’église. Sous Napoléon 1er, le carnaval est officiellement  clos par la messe des cendres, mais les esclaves déjà en participant à une bamboula de rivière font  leurs adieux au carnaval l’après-midi du mercredi des Cendres. 

Le carnaval grâce à la persévérance de quelques martiniquais va trouver une  vitesse de croisière qui garantira sa survie dans l’esprit du carnaval pierrotin.  Des personnalités y croient, s’y investissent assurant la transmission de sa durée, de ses rites (Vidés,  élection de reines, concours de chansons, jours gras, mariages burlesques, diables rouges, vaval)  et rythmes. 

Aujourd’hui, le carnaval est beaucoup plus étoffé que celui de Saint-Pierre. Au fil des  dimanches qui suivent l’Epiphanie les orchestres de rue et les groupes à pied  offrent un régal aux spectateurs. Chacun rivalise d’originalité tant au niveau des costumes, des chorégraphies que des couleurs chatoyantes ou encore des créations musicales enivrantes.

IDENTITÉ

Un Carnaval unique symbole d’une identité 

En Martinique, le Carnaval connaît trois forces particulières : 

  1. La symbolique des thèmes (4 jours, 4 thèmes) 
  • Dimanche Gras Fête multicolore, implosion de couleurs. 
  • Lundi Gras Fête de l’inversion (homme/femme, haut/bas, mariage burlesque).
  • Mardi Gras Fête du rouge avec notamment les diables rouges. 
  • Mercredi des Cendres Noir et blanc, mort de Vaval mais de ses cendres va renaître.

Cette thématique qui revient chaque année facilite la participation de tous, notamment des administrations, des entreprises, des commerçants, des visiteurs et des particuliers. 

  1. L’appropriation de la thématique 

Le carnaval martiniquais émerge de micros milieux, de quartiers, de groupes d’amis, d’associations,  qui s’organisent et ejoignent la mascarade. Une spontanéité naturelle presque traditionnelle qui  donne au carnaval toute sa dimension sociale. 

  1. L’esthétique du carnaval 

C’est une esthétique de renversement, du détournement et du bricolage. Ce sont les haillons, les  habits et choses apparemment rejetés que l’on transforme et qui deviennent le support du beau. Pour  dire vrai, le carnaval se préparait tout le long de l’année dans les consciences et dans les corps pour  une aventure unique. 

Le carnaval atteint son apothéose les jours gras de dimanche à mercredi des cendres : les défilés  du Dimanche Gras de découvrir sa Majesté Vaval et de parader avec les nouveaux costumes. 

 

 

LES JOURS GRAS

En Martinique nous avons un carnaval assez particulier, chaque jour il y a un thème différent ce  que l’on retrouve rarement ailleurs. La Martinique est le seul endroit en France où le Mercredi des  Cendres est fêté dans le carnaval.

 

Lundi Gras : C’est la journée de l’inversion.  

Le Lundi Gras, avec ses mariages burlesques, dont on n’a jamais parlé au carnaval de Saint-Pierre, est le jour où des groupes se livrent selon leur imagination à des parodies de mariage.  C’est l’occasion de transgresser l’ordre établi, de se moquer des institutions par l’inversion systématique  du sexe, du statut social et familial. Dans ce couple ridicule, c’est en général un homme déguisé  en femme qui joue le rôle de la mariée tandis qu’une femme vêtue de costume masculin, portant  moustaches et barbe représente le marié.  

Parents et amis forment donc des cortèges, parfois menés par une Da (femme qui élevait les enfants  dans la famille sur plusieurs générations). Ils défilent empreint de leur rôle établi (noceur-témoin,  demoiselle ou garçon d’honneur, père, mère des mariés, amant, concubine…) derrière le couple  accompagné d’un « Maire » et d’un « Prêtre » qui miment la cérémonie, pointant avec humour  tabous, normes et désordres de la société martiniquaise. La formation des couples et leurs costumes  fonctionnent sur le principe de l’inversion et du grotesque : homme habillé en femme et vice-versa («  à l’envers »), grands et petits, très jeunes et vieux, gros et maigre, etc. 

 

Figure centrale du Mardi Gras, le Diable rouge martiniquais 

Muni d’une longue fourche et toujours entouré d’enfants, il ne porte de  miroirs que sur son masque alors que sur son costume sont attachés des  grelots et des pièces de monnaie. Mais après la guerre, la figure évolue  jusqu’à son acceptation actuelle. Ce costume magnifique est difficile à  réaliser et à porter. La tête est fabriquée à partir de peau de caprins, de cornes  de bovidés (entre 3 et 40). Le masque hideux montre des dents, réalisé parfois  avec le squelette d’animaux. Des nattes ou de crinières pendent de tous les côtés. Cette  tête surmonte une combinaison rouge arborant des centaines de petits miroirs et des grelots. 

Le Diable rouge du carnaval est une adaptation originale du peuple martiniquais. Fourche rouge à la main, ils attaquent, piquent, effrayent, gesticulent, foncent sur les enfants qui  hurlent de frayeur : "diab-la ka mandé an ti-manmay, an ti-manmay qui san batem !" Car il s’agit d’effrayer  en s’amusant et en amusant les autres. 

Le Diable rouge est suivi d’une kyrielle de diablotins qui forment le chœur de son chant et qui battent  des mains tous ensemble et donnent la voix avec une simultanéité qui prouve combien le rythme fait  partie d’un sentiment musical naturel à l’Africain. Il est le roi du mardi gras, qui se distingue des autres  jours par la couleur dominante portée aussi bien par le Diable rouge, ses diablotins (sans grosse tête, ni miroirs) que les carnavaliers. 

 

Mercredi des Cendres. 

Enfin, le Mercredi des Cendres avec ses marées de diablesses et, le soir, l’incinération de Vaval. Le carnaval est vivant et à ce titre il a évolué en s’organisant. Loin de mourir sous les cendres de la Pelée, il est vivifié ; chaque année renouvelé par sa popularité auprès des martiniquais qui l’apprécient tant dans sa spontanéité que par le faste de son organisation thématique. Au cours des siècles, le carnaval a pris une dimension identitaire symbolisant à la fois notre histoire, notre culture, notre société et s’est démarqué à l’échelle international par ses spécificités. 

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